RIEUX déballe ses emballages

Ca n’a pas de nom ! Ce n’est pas de la peinture, ce n’est pas de la sculpture. Rieux les appelle « bas-reliefs peints ». Relief : ce qui fait saillie sur une surface, mais aussi reliefs d’un repas, ce qu’il en reste et qu’on ne mange pas « …les reliefs de poulet sauté… » écrit Balzac. Déchets, détritus, qu’on ne veut plus et qu’on jette. Rebuts, verre perdu.
Pas perdu pour tout le monde. Rieux ramasse, amasse, entasse carton bouilli, papier mâché, cageots, cagettes et vieilles caissettes. Et aujourd’hui, il nous déballe ses emballages.
Bricolé, rafistolé, rapiécé, réparé, délabré,. Découpé, tranché, percé, pincé, écrasé, agrafé, cloué, ferraillé, collé. Peint. Mais c’est drôle, moqueur, érotique, et poétique, iconoclaste et blasphématoire, grotesque et attendrissant.
Regardez bien : c’est vous, c’est moi, c’est nous qui sommes là. Condensé d’humanité avec ses travers, ses inquiétudes, ses doutes, ses angoisses et ses souffrances. Car, méfions nous des apparences : cocasseries et pittoresque ne sont là qu pou mieux ajouter à la vigueur e la satire et de la caricature. Pour mieux révéler aussi que si l’ont peut extraire quelque chose de rien, ce quelque chose que nous sommes n’est que fragilité et existence éphémère. Nous ne sommes, nous aussi, que le produit d’un éternel recyclage et porteur d’une vie qui n’est que provisoire et implacablement vouée à disparaître. « ... l’Homme, gloire et rebut de l’Univers …» écrit Pascal.
Rieux apporte sa réponse aux questionnements de tout à chacun sur la nature des choses de ce monde et qu’il confie à l’artiste : par son regard critique et impitoyable porté sur le genre humain, mais avec ironie et bonne santé. Humour chagrin et tristesse amusée. Rieux sait nous nous chatouiller là où ça gratouille (et inversement). Et s’il sait monter nos maux, il sait aussi manier les mots. Champion en titres, il a la philosophie rieuse.
A compter de ce jour, je suis persuadé que vous ne regarderez plus vos cartons d’emballage du même œil ! Vous y verrez de quoi alimenter vos visions, fantasmes, rêves et cauchemars : de quoi cartonner votre voisin pour mieux emballer la voisine.

Jean Marie LEMAIRE
Décines, 29 septembre 2000

 

J.F.RIEUX, un excellent esprit

Artiste expressionniste, baroque, primitif, médiéval, burlesque, absurde et quoi encore ? J.F.Rieux est tout cela à la foi, à des titres divers, mais aussi « humeuriste » avant d’être humoriste, et puis moraliste comme tous les humoristes.
Mais il est bien sûr Jean François Rieux, portraitiste de l’absurdité du monde, de l’absurdité de l’existence à laquelle l’homme est parvenu, s’il n’y était destiné.
Sur des formes chaotiques il peint des figures insensées aux vives couleurs contrastées, cernées, cloisonnées d’un trait large, appuyé, dans une technique rappelant celle de certains peintres médiévaux qui, de leurs pinceaux vivement colorés, intensifiaient, pour l’édification ou la terreur des foules, le naturalisme des scènes et personnages bibliques, divinités, saints et démons de pierre, sculptés sur les chapiteaux, les consoles, les tympans, les voussures des églises et des cathédrales romanes et gothiques.
Chez J.F Rieux, dans un bouleversement des formes originelles, les visages se métamorphosent en masques figés, impassibles, froids, détachés, qui jamais ne rient, dont les yeux clownesques, outrageusement orbiculaires et concaves rongent la face, prégnants, fascinants de fixité, comme un reproche, une accusation. Et les corps contrefaits, déformés,
déjetés, monstrueusement drôles renaissent marionnettes, pantins, bouffons, paillasses, grotesques, histrions, pauvres simulacres d’humains dérisoires qui, sur le théâtre de la vie, jouent une comédie, plutôt une tragédie « aux cent actes divers et dont la scène est l’univers ». 
Et sur cette scène, ils paraissent d’acte en acte, de la naissance à l’agonie, illustrant tous les moments, toutes les situations de l’existence, familiales, sociales, sociétales, psychologiques, sans apparente envie de s’y accrocher, encore que…, le fabuliste ne doutait-il pas de l’aboutissement fatal du pessimisme, de la désespérance de l’homme, fussent-il suprêmes ?
Devant le spectacle d’une société dont les institutions et ses représentants ont perdu tout attrait, toute considération, tout respect, et dans laquelle ne subsiste pratiquement aucune valeur fiable à laquelle se référer, la transposition du regard que J.F. Rieux y porte, s’écrit dans une forme d’humour, d’humour noir dont l’humeur est le pigment originel.
La parenté sémantique, le lien psychologique entre l’humeur et l’humour sont étroits. L’altération, l’excitation des humeurs et particulièrement de l’une d’elles, identifiée naguère comme atrabile, la bile noire, conduisait et conduit aujourd’hui encore à une appréciation plus critique que laudative du monde. Mais qu’une autre humeur, l’ancienne pituite, désormais le flegme, inséparable d’une certaine forme d’humour qu’il drape dans son détachement jusqu’à ce que d’humeur l’humour devienne cette « politesse du désespoir », formule attribuée à Jean Giraudoux, ou encore cette « révolte supérieure de l’esprit » qu’affectionnait André Breton. Révolte certes, mais dans l’humour, et alors conjuration de la morosité, du pessimisme, du tragique, ces voies ouvertes sur la déraison qu’il est préférable de traiter par la dérision, mieux par le sarcasme, la raillerie, l’extravagance, la charge outrancière frisant la bouffonnade et pourquoi pas le cynisme, l’inconvenance, le scandale.
Et là, J.F.Rieux lève le rideau du théâtre de l’absurde et le défilé commence.

Charles GOURDIN
2006

 

Les baromètres du doute

De boîtes en carton en boîtes en carton, Jean François RIEUX extrait des visages qu’il déforme comme à coups de poings. Il défonce l’aspect, accentue le provisoire et mâche l’absurde comme une pâte de survie, recrachée sous de nouvelles apparences. Les voilà ces êtres, comme élus du néant, tirés d’un sentiment commun proche de l’angoisse et du mal être. Troublés de solitude, ils cherchent l’autre, quitte à se perdre une nouvelle fois dans une multitude qui n’a que les faux semblants d’une sincérité bien improbable. Agglutinés d’errance, ils se serreront dans les renflements du carton comme s’ils s’empressaient d’agripper une bouée, avec l’humour acide des condamnés à la noyade.

De toutes ces dérives, naît un instant du néant, une lucidité du précaire. Les êtres en sortent comme égarés d’un quotidien tragique à l’errance exorbitée et stridente. La peur carcérale défait les rires et tétanise les espérances. Les couleurs dévalent les incertitudes et dessoudent les rêves avec la brutalité des inquiétudes. Si ce n’était la présence d’un humour certain, il n’y aurait plus lieu de croire au futur et tout deviendrait noir.

Mais les lumières qui se déhanchent sur les vertèbres du grotesque sont l’antidote du désespoir.

Didier Venturi
Le Dauphiné Libéré - 1999

 

 

Jean François RIEUX plasticien, véritable passeur de l’extime à l’intime.
Son travail est lié organiquement au support et aux composantes de la vie. De chaque objet il fait naître la figure, le regard et du regard la vie. L’intégrité de la forme respectée par la touche de couleur il donne sens à l’évidence de ce regard, à la pertinence de cette histoire qu’il conte.
La richesse de sa peinture nait de ce questionnement existentiel permanent. Elle nourrit des relations « singulières » qu’il entretient avec le monde.
De ce volume qu’il explore avant de peindre, il entrouvre les entrailles pour mettre à jour ces expériences enfouies dans nos corps, dans nos têtes, dans nos rêves …
Son objectif serait peut-être de permettre qu’une nouvelle identité se pose sur l’objet et l’inscrive dans une histoire qu’il recompose chaque jour.
Sa palette est chaude et ancrée dans une réalité physique mais habitée par le sensible, le souvenir, le fragment de vie ou d’histoire, …

Guy DALLEVET
Avril 2009

 

 

Jean-François Rieux* et ses bas-reliefs

« Rieux déballe, emballe et cartonne à plus d’un titre, ne mâchant pas ses mots, ne cachant pas les maux », dit Jean-Marie Lemaire. Son matériau de prédilection, ce sont des cartons d’emballages de récupération ; plus précisément des plaques ou plateaux en carton moulé, déjà utilisés pour protéger des objets fragiles, allant de fruits ou légumes à des équipements divers ; dans le premier cas, les formes de base se répètent, alimentent la redondance ; dans le second, il s’agit de formes complexes, singulières, qui défient l’imagination du re-créateur. Rieux les métamorphose, les rehausse et les sublime par le jeu de couleurs vives, grâce à l’acrylique. Le plus souvent , il s’agit de têtes ou de personnages mis en scène ; ils s’inscrivent, en les pastichant, en les décalant ou en les blaguant, sur le registre du religieux (par exemple : La Sainte Famille, le Christ jaune) ou du profane (comme Mes Baigneuses à moi ou Çà va être l’heure de la soupe). Le style utilisé renvoie souvent au médiéval ou relève du baroque. Les représentations restent cernées par le cadre géométrique initial, et le multiple (Des joyeux vendangeurs jusqu’à L’Odyssée de l’espèce, avec ses 365 personnages) s’inscrit lui-même dans le cloisonné ; ces cloisonnements marquent l’enfermement, la solitude, les grandes difficultés de communication entre les êtres transis ou voyageurs en transit ? Des formes chaotiques, les déformations des corps et des visages (par exemple Les Gueules cassées), jusqu’à l’extravagance et la monstruosité, ne relèvent pas simplement du ludique. « Mise en boîte ou mise en bière ? » interroge Jean François Maurice. Ainsi que le dit à son tour Charles Gourdin, ces masques figés, impassibles, fascinants de fixité, ne rient jamais, ou bien ils rient jaune. Ces figures clownesques traduisent la dérision, le sarcasme, la raillerie, elles font figure de bouffonnades ; et derrière elles se cachent la douleur, la souffrance, le mal-être, le quotidien tragique, jusqu’à la folie ; et c’est aussi un théâtre de l’absurde. Didier Venturi écrit à ce sujet : « il mâche l’absurde comme une pâte de survie, recrachée sous de nouvelles apparences. Les voilà ces êtres, comme élus du néant… Troublés de solitude, ils cherchent l’autre, quitte à se perdre une nouvelle fois dans une multitude qui n’a que les faux semblants d’une sincérité bien improbable. Agglutinés d’errance, ils se serreront dans les renflements du carton comme s’ils s’empressaient d’agripper une bouée, avec l’humour acide des condamnés à la noyade ».Jean-François est un poète du dérisoire (incluant l’auto-dérision) dont l’humour noir et l’ironie constituent l’antidote à la désespérance.

* Artiste peintre. Vit et crée à Lyon.

Gérard Bertolini
« Le Croquant n°59-60 - 2009